Eysines - 26 mars 2010

Scène très joyeuse. Souad et ses musiciens plus complices que jamais. Jeff très facétieux aux prises avec des guitares qui ne veulent pas s'acoorder... Le tour de chant était bien celui que nous aimons, en attendant les nouvelles qui devraient être plus rock. Une salle raisonnable, mais tout de même chaleureuse pour les rappels. Souad a invité quelqu'un de la salle à venir sur scène pour chanter ou jouer de la guitare. Elle a eu un écho favorable par une personne qui est venue la rejoindre uniquement pour être à ses côtés. Le chant sera pour une autre fois...

Lorsque Souad est venue signer des autographes, elle était rayonnante et comme d'habitude très disponible pour ses fans. Elle m'a confié qu'en juin, il y aura un single qui pormettra d'attendre la sortie du CD en septembre.

Souad est très contente de la série de spectacles avec Eric Fernandez, Choeurs de Cordoue, où ils jouent de la musique arabo-andalouse. Elle se régale ainsi que Rabah qui a fait, ce soir, un triomphe avec son solo de derbouka. Souad espère qu'il y aura d'autres scènes avec Eric Fernandez que celles déjà prévues. Si une vidéo est mise sur Youtube, elle figurera sur ce site. Après Martigues le 24 mars, il y aura deux autres étapes pour ces Choeurs de Cordoue : Châteauvallon le 24 avril et Narbonne le 18 mai.

Yahia (Jean-Michel de Constantine)

Izeure - 21mars 2010

Bonjour à tous,
Si je vous dis que je vais vous narrer un spectacle auquel j'ai assisté, et dont voici la vedette, vous allez me dire, je ne reconnais pas cette chanteuse à la guitare, et pourtant si vous êtes sur ce site, c'est que vous l'appréciez !Il faut dire que c'était un spectacle en deux parties si l'on peut dire.

Il y a trois ans, Souad ( puisque vous l'aviez reconnue ! ), avait eu la gentillesse de chanter avec mes petits élèves : Cette année, à Yzeure, 5 mars 2010,c'était au tour des élèves de mon frère, d'avoir ce privilège, mais ceux-ci étant un peu plus âgés que les miens, Souad eut droit à son interview en bonne et due forme, avant le spectacle :

Interview Souad Massi :
Emma : Préférez-vous être chanteuse ou ingénieure ?
Je préfère être chanteuse.

Maxime : Pourquoi avez-vous choisi de jouer de la guitare ?
Parce que c'était le seul instrument accessible, j'aurais souhaité jouer du piano, mais ça coûtait trop cher.

Raphaël : Est-ce qu'il vous arrive de vous tromper sur scène ?
Oui, ça m'arrive lorsque je ne suis pas assez concentrée.

Mélissa : Est-ce que vous faites une voix de doublage dans Azur et Asmar ?
Non, on me l'a proposé, mais je n'avais pas le temps de le faire, j'étais en tournée.

Adrien : Combien de temps répétez-vous par jour ?
Ça dépend des concerts, c'est allé jusqu'à quatre heures pour le concert de flamenco.

Willy : Est-ce que vous répétez chez vous avec vos musiciens ?
Non, ça ferait trop de bruit, les voisins ne seraient pas contents.

Loane : Combien de chansons pouvez-vous chanter ?
Je peux chanter dix-huit chansons dans un concert de trois heures.

Théo : Combien de concerts avez-vous fait depuis que vous êtes en France ?
Beaucoup, mais je ne peux pas les compter.

Jade : Avez-vous des chansons préférées ?
J'aime beaucoup les chansons de Léonard Cohen.

Leyla : Est-ce que vous jouez d'un autre instrument que la guitare ?
Quelquefois je fais des percussions, j'aimerais apprendre le piano.

Chloé : Dans combien de pays avez-vous chanté ?
Beaucoup, mais je n'ai pas chanté en Asie.

Elio : En combien de langues pouvez-vous chanter ?
Je peux chanter en français, en anglais, en arabe, en espagnol, j'aimerais apprendre l'italien.

Augustin : Comment avez-vous rencontré les musiciens de votre groupe ?
J'ai d'abord rencontré Jeff qui m'a présenté le bassiste et le batteur. J'ai rencontré le percussionniste ensuite.

Marceau : Qu'est ce qui vous inspire pour écrire des chansons ?
Je suis inspirée par les femmes de mon pays.

Luka : Est-ce que vous écrivez les paroles et les musiques en même temps ?
Il m'arrive d'écrire les deux en même temps, mais généralement j'écris d'abord les paroles.

Etienne : Est-ce que vous avez le trac en montant sur scène ?
Oui, cinq minutes avant de monter sur scène je suis malade, mais ça passe après.

Puis après une séance d'autographes, gentiment et grâce à la complicité de Manu, les enfants ont pu assister à la balance.
Le facétieux Zaf ( Le bassiste ) a dit aux enfants que Souad avait une veste en poils de chats !

La balance :
Les enfants rentrèrent manger chez eux en attendant l'heure du spectacle. J'en profite pour faire un petit coucou à Souad dans sa loge où elle se repose avec sa petite Inji. Me revient à l'esprit une question qu'il y a longtemps que je voulais lui poser : " Est-ce que c'est ta maman qui dit Allo dans Yemma ? " Eh ! bien, non. Voilà, maintenant je sais. " Et pourquoi as-tu annulé ta tournée aux Etats-Unis ? " Il est vrai qu'en regardant le ventre de Souad, je me dis qu'elle a eu raison. Il n'est pas bon de trop voyager dans son état ! C'est une fois de plus, pour le mois d'août , comme Inji, comme Souad !
Bon, 20 h 30, tous en place, le spectacle va commencer !
Intro avec Deb, puis chaâbi ( Nekreh el kelb)et là, un audacieux commence à venir danser devant la scène. Moi qui était tout en haut, je descends dans la fosse et attends qu'il y ait un peu plus de danseurs pour me mêler à eux.

Bientôt, nous sommes quelques uns à bouger car Souad a choisi un répertoire rythmé ( Amessa, Ilham, Miwawa, Khalouni…). Rabah nous fait son solo de derbouka, invitant les spectateurs à frapper dans les mains. Les petits élèves de tout à l'heure, attirés par cette musique, s'agglutinent devant la scène. Et lorsque Souad entame Ghir Enta, voilà que les enfants chantent le refrain à tue-tête car ils avaient appris la chanson. Souad dirige, sous l'œil étonné de Jeff (c'est lui ci-dessous). Puis elle explique que des enfants lui ont fait un cadeau et qu'elle veut le partager avec le public.


Elle appelle le maître pour les accompagner à la guitare, et les élèves montent sur scène ( je ne vous dis pas l'émotion de mon frère, d'avoir la guitare de Souad entre les mains, et sa gratitude envers les musiciens, d'être restés sur scène à le soutenir du regard !) En fait, les enfants avaient appris la chanson d'Azur et Asmar : Mais une nouvelle petite élève s'était adjointe au groupe et croyez- moi, elle connaissait la chanson par cœur !:

Le salut des artistes en herbe. Souad les a remerciés et le spectacle s'est terminé.

Un seul regret, pas de rappel ( personne dans la salle ne s'est manifesté et pourtant certains ont trouvé le concert trop court). Quant à moi, j'aurais bien repris une louche des anciennes chansons comme Raoui ou Rani Rayah, mais bon !

Conclusion écrite par les élèves
Nous avons passé un moment merveilleux, nous nous en souviendrons toute notre vie.

Danielle Mercier

Changé - 18 mars 2010

Un bref résumé de la soirée du 18 mars à CHANGE près de LAVAL, à la salle des Ondines où se produisait Souad.

Comme d'habitude lorsque Souad entre sur scène, il se produit un sentiment étonnant de calme, je suis personellement touché,la magie commmence.Les 500 personnes présentes calmes comme le fit remarquer Souad se sont débridées au fil des chansons.Beaucoup d'humour aussi entre Souad et ses musiciens, JF ne laissant pas sa part. Le solo du percussioniste récoltant comme toujours un énorme succes. Les chansons défilent toutes interprétées par Souad avec son immense talent, sa voix magnifique et envoutante.

Le concert se termine après que Souad soit revenue à l'appel du public. Je n'ai plus le choix, j'ai travaillé RAOUI pendant 1 mois à la demande de Souad que j'avais rencontrée en décembre, je m'approche de la scène, je lui fais signe, elle me répond qu'elle est fatiguée, j'insiste, elle me fait signe de monter et nous chantons RAOUI ,cette magnifique chanson qui la représente. Les larmes au yeux, je la prends dans mes bras et la remercie. Voila, je remercie toutes les personnes qui m'ont témoigné leur sympathie à travers leurs mots, les gens qui ont été touchés, Cath qui se reconnaîitra, mon ami Toufik qui m'a aidé et motivé et bien sur Souad et Abdel pour leur gentillese et leur simplicité. Une personne présente qui a pris avec son appareil en vidéo ce moment fort doit m'adresser un CD. J'espère qu'elle tiendra parole.

Voila ce que fut cettte magnifique soirée.

Dominique Ménager

Montpellier - Arabesques - 23 mai 2009

 

Kateb Amazigh qui assure la première partie rentre sur scène et déjà les drapeaux kabyles et amazigh font leur apparition. C'est très vite du délire et Kateb assure grave : " Le pouvoir aux femmes algériennes Inch'Allah. Y'en a marre des généraux avec les moustaches en plastique  ! " Tonnerre d'applaudissement, youyous magnifiques.

Le terrain est prêt pour Souad et ses musiciens.

Les techniciens ont quelques problèmes de son et sont plongés dans leurs faisceaux invraissemblables de fils.

Finalement, Manu le régisseur de Souad fait signe que tout est ok. Les guitares sont accordées. C'est le temps du concert ! Souad sourit et parle avec les fans au pied de la scène et le concert démarre comme un bolide, dans une ambiance de feu. Pas de round d'observation. Jeff fait toujours merveille à la guitare. les gens sont déchaînés et dansent d'emblée. Souad a un nouveau bassiste qui assure bien.

" Yawlid " déclenche un triomphe, toute le monde saute. Puis une succession de chansons douces et l'incontournable partie de manivelle entre Rabah aux percussions (en l'occurence la derbouka) et le batteur. Triomphe absolu, tout le monde en redemande.

" Ghir Enta " et " Ech Dani " relancent le public dans des danses endiablées. Tout le monde chante en arabe. Souad elle-même en est impressionnée puisqu'il y a beaucoup de Français qui se livrent à l'exercice.

Comme à l'habitude Jeff assure comme un malade et il est bien aidé par ses copains musiciens avec qui il a une grande complicité. Je remarque au passage qu'il a une six cordes et une guitare électrique. Il a laissé de côté la douze cordes avec son charme si particulier.

Mais il faut bien, finir... Les quatre musiciens tapent très fort et mettent avec Souad une ambiance de feu.

Inji, 3 ans et demi danse avec papa Abdel qui, pour une fois, va voir le spectacle de sa femme depuis les gradins.

Comme d'habitude, la scène se vide et Souad reste seule avec sa guitare : c'est le moment sacré de " Raoui ". Les bruits se calment, l'exitation baisse d'un cran et aux premières notes de l'arpège, c'est le silence et le recueillement. La voix cristalline de Souad nous envoûte. C'est le grand frisson et les larmes qui montent aux yeux. Le public reprend " Hadjitek, Madjitek ", sans que la magnifique Souad fasse quoi que ce soit. Et ça peut durer longtemps, toute la nuit tellement c'est beau. Les musiciens trempés de sueur viennent saluer. Souad serre des mains à volonté. Tout le monde en veut encore. Ils reviendront sur scène trois fois sous les bis du public conquis.

 

Interview Jeff à Bourges

Cet entretien a eu lieu le 20 mai à Bourges au lendemain du concert. Nous étions attablés à la terrasse d'un bistrot pas loin de la gare. Le soir même, Souad jouait à Lignières au festival " l'Air du Temps ". Il faisait un temps printanier qui prêtait à la confidence. Jean-François Kellner dit " Jeff " s'est ouvert à moi sur son parcours de musicien, ses rencontres musicales les plus marquantes, son évolution et ses choix, sa rencontre avec Souad, son rôle au sein de la formation et enfin ses impressions sur tous ces voyages aussi bien en France qu'à l'étranger. Ce fut une discussion à bâtons rompus…. rompue parfois par l'annonce d'un cirque de passage, de Souad, de David et les autres. Ce fut une conversation intéressante, parfois technique (coucou aux apprenti(e)s guitaristes) et surtout chaleureuse. A vous d'en juger !


Ziane : Tu joues sur une guitare 12 cordes (Takamine) mais qui ne contient que 10 cordes. Les cordes " Ré " et " Sol " ne sont pas doublées. Pourquoi ce choix ?
Jeff : Avec la même guitare, je suis obligé de jouer du folk, du rock, un peu de musique orientale et de la musique africaine. Cela va m'aider si l'instrument lui-même a déjà une personnalité dans le son. Les cordes doublées font tout de suite penser à la musique orientale où beaucoup d'instruments ont des cordes doublées comme le Luth, le mandole ou le Saz turque. Quant aux 2 cordes simples (le Ré et le Sol), cela me permet de faire des " cut cut "(cordes étouffées), des trucs plus spécialement africains, blues ou rock. Et, dans les chansons comme Ghir Enta ou Hayati, on nous a toujours dit qu'il y avait une petite couleur de Fado là-dedans. C'est peut-être dû aussi à ces doubles cordes qui sonnent comme un Bouzouki, une guitare portugaise, ce genre de chant " mouillé ".
Ziane : Quelle est ta formation musicale ? Comment as-tu débuté à la guitare ?
Jeff : A 16 ans, j'étais en pension. Dans la cour de l'école, il y avait deux gars qui grattaient dont l'un sur une douze cordes. L'autre était plutôt guitariste électrique. J'avais une guitare à la maison mais je n'arrivais pas à m'en servir. Ils m'ont appris les premiers accords et comme on passait beaucoup d'heures à s'ennuyer dans les récréations du midi, du soir, après les permanences, c'était une occupation salutaire. J'ai l'impression que c'est souvent l'ennui qui déclenche une passion. En tout cas, c'est ce que racontent les histoires africaines. Et voilà, dans le cadre de la pension, j'avais souvent l'occasion de me retrouver avec la guitare, à apprendre avec quelqu'un…
Ziane : Donc tu as commencé à apprendre avec des copains. Ensuite, as-tu joué avec des petits groupes ?
Jeff : Après, quand je suis revenu sur Paris en classe de Première, j'ai monté un groupe avec un ami pianiste (Jean-Christophe Prudhomme) qui est d'ailleurs un musicien reconnu puisqu'il a composé des musiques pour " Les Inconnus ", de films, etc. Il ne fait pas de scène mais que de la composition. Quand nous étions à l'école, il y avait lui et François Ridel le chanteur de Massillia Sound System. Nous étions tous les trois dans la même classe, nous voulions faire de la musique et on ne pensait qu'à ça. Nous étions passionnés. Nous avons pris nos premiers instruments, nous avons joué . Puis nous avons trouvé un petit local où nous avons commencé à jouer sérieusement. Et puis après, Jean-Christophe et moi avons monté une formation. Il y avait déjà Christopher Henry (batteur renommé qui a déjà joué avec Souad Massi en remplacement de David Fall) qui nous a rejoints. Nous écoutions des disques, de la pop, du jazz-rock des années soixante dix. Nous jouions ensemble, nous touchions à tous les instruments.
Ziane : Tu étais plus guitariste électrique à cette période là, non ?
Jeff : Ouais, j'étais guitariste électrique et surtout batteur. Mais c'est vrai que pendant les premières années, je jouais plus de l'électrique. Bizarrement, je suis un guitariste électrique.
Ziane : Après cette période de musicien amateur, as-tu continué tes études après le bac ou as-tu commencé une carrière de musicien professionnel ?
Jeff : Après le bac, j'avais décidé de faire de la musique. Donc, j'ai enchaîné les petits boulots les un après les autres, le reste du temps je travaillais mon instrument et puis on répétait.
Ziane : As-tu pris des cours sérieux de musique ou de guitare ?
Jeff : J'ai pris des cours pendant un an dans un magasin qui s'appelait le Quincampoix et qui était le repaire de tous ces rois du picking comme Dadi, Michel Haumont, etc. Il y avait des bons cours de guitare. J'ai commencé à apprendre les bases du picking et les débuts des tablatures. Comme mon groupe était plutôt électrique , j'ai laissé tomber les cours. Après, j'ai pris un cours avec un bon professeur, Eric Boell qui formait avec Roubach un duo de techniciens incroyables. Ils jouaient sur des guitares acoustiques un répertoire jazz-rock très complexe. Mais, je n'ai pas ce côté mathématique de l'enseignement de la musique, le rapport des intervalles, les modes. J'ai à peu près compris le concept mais cela ne me sert pas de référence. J'ai appris les bases de l'harmonie et après c'est souvent la mélodie qui dirige. Je crois qu'on peut se passer de la théorie parfois. J'ai beaucoup appris avec les autres musiciens.Quand tu dis qu'on ne peut pas se passer de la théorie musicale, moi je connais plein de musiciens qui ont fait le tour du monde et qui n'y connaissent rien.
Ziane : Mais sans être un spécialiste, il faut connaître les bases. Lorsque tu parles d'un accord neuvième diminué, tu dois savoir de quoi il s'agit sinon tu ne peux pas aller très loin.
Jeff : C'est mieux effectivement, ça permet de te repérer si tu sais mettre un nom dessus. Maintenant, je te le redis, il y a des gens qui jouent comme ça d'instinct. Je ne sais pas par exemple si Paco De Lucia va connaître les noms de tous ses accords. Je ne sais même pas si ça l'intéresse ? Peut-être Paco est un grand théoricien ? Moi, je connais plein de guitaristes qui s'en passent.
Il y a l'anecdote de Souad en studio qui demandait à un guitariste le nom d'un accord et qui lui répond : je ne connais que le nom de ma mère. Le gars va faire un accord super complexe et si tu le chiffres, ce sera un " mi augmenté avec une septième mineure " ou je ne sais quoi, et le gars te joue tout ça depuis qu'il est tout petit sans savoir ce que c'est.
Ziane : Pour revenir à ta formation, lorsque tu as plus maîtrisé ton instrument, comment as-tu concrétisé cet apprentissage ?
Jeff : Avec le groupe, nous avons commencé à jouer, nous avons fait plein de concerts dans des clubs de jazz-rock parisiens. Nous étions vraiment au contact des autres musiciens. Cela créait une émulation. C'était des gens que nous voyions tous les soirs. Ca joue, ça écoute. Donc tu commences à connaître d'autres musiciens. Tu joues dans des petits groupes car il y en a un qui t'appellent. Ensuite, j'ai rencontré un musicien qui est devenu un grand ami et qui s'appelle Philippe Servain. C'était un vrai musicien classique. Il arrangeait les morceaux pour les concerts de Philippe Léotard. Et là, je me suis trouvé confronté pour la première fois au problème de savoir mettre un nom sur les choses pour pouvoir travailler vite. C'est merveilleux ce métier où un gars compose une musique, il donne les partitions à tous les musiciens. Il fait : " trois , quatre " et tout d'un coup sa musique prend forme. Ca m'a obligé à travailler la lecture, à savoir lire les grilles, à savoir m'adapter à des situations professionnelles. Tu te rends compte que quand tu apprends des trucs à l'oreille c'est bien mais après si tu dois en apprendre beaucoup, tu as intérêt à savoir te trouver un système de repérage de notes, tu apprends à écrire des grilles, à te faire tes propres partitions. Ce sont des choses qui viennent petit à petit.
Je me souviens avoir joué avec Yves Lecoq …
Ziane : L'humoriste ? L'imitateur et la grande voix des " Guignols de l'info " ?
Jeff : C'est un grand artiste. Ses imitations sont très pointues. Je me souviens pendant la balance, il envoyait des airs d'opéra sans micro. Nous nous retrouvions avec des grilles imposantes lorsqu'il chantait un pot-pourri des années soixante, 15 morceaux enchaînés, des petits extraits, des airs … A ce moment là, l'utilisation des grilles me facilitait la vie.
Parfois, je recevais des grilles très complexes à travailler pour une session. J'y passais des jours et des nuits. Finalement, j'y arrivais, je me détendais un petit peu. J'apprenais à m'en servir.
J'ai vraiment appris sur le tas.
Ziane : D'autres expériences musicales ?
Jeff : Ensuite, j'ai rencontré des musiciens africains . Cela a été tout de suite la grande révélation.
Ziane : Quels musiciens ?
Jeff : A Paris , il y a une mine d'or de cultures africaines, de musiciens africains. Il y en avait plein au New Morning mais aussi dans des petits clubs. D'abord, des musiciens antillais qui jouaient une nouvelle musique à l'époque. C'était les débuts du " Zouk ". J'ai fait partie de groupes qui cherchaient à faire des mélanges entre le Zouk, le Rock, la musique traditionnelle qu'on appelle " Cheval bois " en Martinique …
Ziane : Pourquoi cette attirance pour la musique africaine ?
Jeff : Je pense que c'est le rythme. Je me sens plus " rythmicien " que mélodiste.
Ziane : Effectivement, cela s'entend même quand tu joues des chorus, l'usage des " cut cut " , du médiator de manière percussive. Tu as l'air à l'aise dans ce style.
Jeff : Oui, je suis à l'aise, je suis un batteur frustré. Cela me procure des sensations profondes, pleines d'énergie. Quand tu joues un petit " pattern " rythmique et qu'il tourne tout seul, tu te rends compte qu'au bout d'un moment, tu ne fais plus d'effort pour le jouer, que ça avance, que tu es pris dans une énergie collective qui est vraiment impressionnante.
Ziane : Donc, lorsque tu as débarqué dans ce milieu de musiciens africains à une époque où tu jouais un peu de tous les styles, as-tu appris quelque chose de nouveau ?
Jeff : J'ai appris d'abord à connaître des cultures différentes. J'ai appris aussi que l'Afrique représentait une mine d'or sur le plan des racines artistiques. Quand tu reviens à cette source, ça te permet d'aborder avec un nouveau regard le " folk ", la " pop ", le " rock ", le " jazz ". J'allais dire une approche " pure " mais je n'aime pas ce mot, je dirais " authentique ". Je repartais aux racines.
Ziane : Quels sont les musiciens africains avec lesquels tu as joué et qui t'ont le plus marqué ?
Jeff : Les grands chanteurs comme Salif Keïta, les frères Touré Kunda. J'ai joué 4 ans avec eux.
Ziane : Ils ont eu beaucoup de succès dans les années 80.
Jeff : Je suis arrivé dans les années 90. Nous avons fait un bel album qui s'appelle " Mouslaï " (1997). Ce groupe sénégalais de Casamance a une longue histoire. Ils ont révolutionné la musique à leur époque.
J'ai aussi joué avec Salif Keïta, ce chanteur malien immense. Le Mali et la Guinée délimitent l'ancien empire Mandingue dont la culture traditionnelle a été préservée. Par exemple, les griottes " Nahawa Doumbia" ou " Oumou Sangaré " jouent des musiques qui doivent probablement sonner de la même manière qu'au 12eme siècle. Et paradoxalement, cette musique est restée très moderne. En comparaison, si on écoute les chants des troubadours du 12eme ou 13eme siècle, il sera difficile de les adapter à la modernité. Quoique…On entend de plus en plus des vielles à roue dans la " Techno " ou la musique électronique. Dans la musique africaine, l'utilisation des instruments de fabrication artisanale ainsi que des règles très strictes en font une musique " hors du temps ". Lorsqu'on écoute " Oumou Sangaré " jouer avec ses musiciens, c'est magnifique. On sent à la fois les racines du Jazz, la mélodie qu'il peut y avoir dans le Folk. C'est une musique très complète et très complexe. Il y a beaucoup de " polyrythmie ". Chacun à sa position est autonome. Chaque musicien joue une séquence et doit, en même temps que son rôle rythmique, répondre à la voix. Lorsque chaque instrumentiste le fait, il y a des dialogues entre le Djembé et les danseuses. C'est plus qu'un dialogue, ça ne passe pas par les mots, c'est beaucoup plus fort.
Ziane : Après cette immersion dans la musique africaine, as-tu connu d'autres expériences musicales ?
Jeff : J'ai continué plein de choses. En étant musicien professionnel, je faisais des séances, j'accompagnais des chanteurs de variété dans les années 80, 90, des chanteurs comme Higelin…
Ziane : Tu es guitariste professionnel depuis plus de 20 ans. Depuis quand en vis-tu vraiment ?
Jeff : Je suis devenu vraiment professionnel en 1986. Mais comme j'ai toujours choisi des musiques qui bien qu'intéressantes n'étaient pas très rémunératrices, j'étais obligé de jongler. Il y avait des périodes " sans " où je faisais plein de partitions, du travail à la maison, des relevés… J'ai arrêté mon dernier petit boulot en 1988.
Ziane : Quel est ton statut actuel ?
Jeff : Je suis intermittent.
Ziane : Es-tu allé à la source de la musique que tu préfères, c'est à dire en Afrique ?
Jeff : Oui, bien sûr.
Ziane : Cela ne faisait-il pas bizarre qu'un jeune européen " pur sucre " s'intéresse et veuille jouer de la musique africaine (et qui en jouait d'ailleurs) ?
Jeff : C'est là que l'africain nous donne une leçon de modestie et de chaleur humaine. Je n'ai jamais eu de problème. Les gars te regardent, ils n'y croient pas au départ quand tu leur joues de la guitare. Ils sont bienveillants. Dès qu'ils voient que tu joues un peu la musique du pays, là ils t'ouvrent les bras. Au Bénin, souvent les gars me disaient que toi, le jour où Dieu avait distribué les peaux, il s'était trompé. Tu es accepté comme ça.
J'ai ressenti plus de méfiance, de réticences des antillais par exemple qui sont à cheval entre deux cultures. Ils ont du mal à faire le choix. Je sais qu'au début le groupe avec lequel je devais jouer hésitait à m'engager car j'étais blanc donc je ne saurais pas jouer leur musique. Un jour, ils étaient forcés de me prendre car ils manquaient d'un guitariste au dernier moment et ils se sont rendu compte que je pouvais vraiment jouer. C'est une question de travail, de désir, d'envie. Si tu en as envie, tu vas arriver à comprendre, à sentir.
Quand j'étais petit, mon univers musical était la chanson française, c'était Edith Piaf, les groupes des années 70, les Hendrix, tout ça… Quand on écoute Hendrix, on sent l'africanité à fond. Tu enlèves son batteur et son bassiste, ça continue de tourner. Il est complètement autonome, sa voix et sa guitare chantent dans tous les sens et, en même temps, ça impose une rythmique très solide.Tu écoutes Ali Farka-Touré jouer et puis tu écoutes Hendrix jouer un blues, c'est des frères. Il y a vraiment un rapprochement.
Ziane : Après Salif Keïta et Touré Kunda, as-tu joué avec d'autres artistes africains ?
Jeff : Oui, Tony Allen qui était le chef d'orchestre de Fela dans les années 70 et qui est un immense batteur. J'ai joué 4 ans avec lui. D'ailleurs, j'ai arrêté de jouer avec lui car avec Souad Massi on avait trop de dates. Je ne pouvais pas tout faire. Et puis, j'ai joué avec une multitude d'artistes africains de la scène parisienne, des grands chanteurs, des grands instrumentistes… La liste serait trop longue.
Ziane : Pour résumer, tu es devenu un guitariste reconnu dans le milieu musical africain à Paris et ailleurs. Tu dois être souvent sollicité pour des sessions, des concerts, etc.
Comment as-tu rencontré Souad Massi ? La question t'a déjà été posée dans le documentaire consacré à Souad Massi, " l'Algérie dans un sourire ", diffusé sur France 5.
Jeff : Je l'ai rencontrée à l'occasion de ses premières maquettes pour Universal. C'est un ami , ingénieur du son avec qui j'avais travaillé pour Salif Keïta qui m'appelle un dimanche pour venir faire des guitares sur une maquette. Nous avons fait 7 titres, Denia, Belibik, Rani rayha, etc. Nous avons préparé son premier album pour le présenter à Universal. Tout de suite, j'ai adoré sa façon de chanter, sa musicalité, sa précision rythmique et harmonique. J'adore le folk mais en même temps, le côté folk " qui sent le foin ", si je puis dire, est limité. Je suis fan de quelqu'un comme Neil Young quand il est tout seul avec sa guitare ou avec son groupe. Mais au bout d'un moment, lorsque j'entends son groupe jouer, le bassiste et le batteur, je trouve ça un peu lourd. Je trouve la musique folk américaine un peu lourde. Elle est toujours plantée sur les " dzoum ta, dzoum ta " un peu binaires. Alors qu'avec Souad Massi, il y avait ce terrain folk qui permet à une guitare de s'exprimer vraiment avec des arpèges, des cordes à vide, des mélodies. De plus, il y avait une volonté africaine de recherche de rythmes. Eh oui, Souad se revendique africaine à juste titre. Ce qui n'est pas le cas de tous les chanteurs maghrébins. Certains d'entre eux se sentent vexés si on les considère comme africains. Je ne sais pas pourquoi.
Ziane : Disons qu'il y a le côté oriental qui est peut-être moins visible dans la musique africaine…
Jeff : Tu vas trouver des intonations orientales chez les chanteurs mandingues. C'est l'Afrique noire qui a été colonisée par les musulmans.
Ziane : C'est vrai, quand tu écoutes des passages de la " Kora "(genre de harpe africaine), il y a ces harmonies typiquement orientales.
Jeff : Quand tu écoutes Salif Keïta ou Mori Kanté chanter, c'est pas loin non plus. Tous ces chanteurs guinéens, maliens ont d'une certaine façon toujours baigné dans une culture musulmane. Il a entendu les phrases de l'appel à la prière, les textes du Coran mélangés. Le grand talent de l'africain est qu'il est animiste. Le père blanc catholique arrive et impose sa culture. L'africain prend ce qu'il trouve de bien. Le musulman arrive, c'est bien aussi. L'africain est très, très ouvert. Il arrive à cumuler les choses. La musique traditionnelle africaine a su prendre les influences du monde musulman ou du monde occidental et les a intégrées d'une façon naturelle. Par exemple, les maliens ou les guinéens quand ils jouent de la musique cubaine c'est avec une puissance qui est différente de celle des cubains mais qui est tout aussi efficace. Après, ils mélangent leur côté Mandingue. Le premier disque de Salif Keïta, c'est incroyable. C'est beaucoup de musique cubaine chantée en Bambara, donc avec des consonances africaines.
Ziane : Pour revenir à Souad, tu as " flashé " dès votre première rencontre car tu as retrouvé des choses qui t'intéressaient…
Jeff : Exactement. C'était une superbe après-midi de travail avec une très belle artiste. Souvent, avec les chanteurs il faut faire le tri entre leur qualité de musicien et leur ego. D'ailleurs, souvent l'ego est quelque chose qui freine en musique et plein de chanteurs tombent un peu dans ce piège. Mais avec Souad, je sentais qu'il n'y avait vraiment pas ce problème là, qu'elle était dans la musique, qu'elle dégageait plein d'émotion. Nous avons fait " Rani Rayha " en une prise. C'était un vrai bonheur d'accompagner sa voix. Souvent en studio, le chanteur se plante un peu, il n'est pas très à l'aise. Et là, c'est une artiste qui fait une prise et c'est une belle version. Elle n'a pas dit, je referai la voix plus tard. C'est ce que j'ai beaucoup apprécié.
Comme c'était une histoire qui démarrait, qu'elle commençait à faire des petits concerts, des premières parties et qu'il lui fallait juste 2 guitares acoustiques et une basse, cela m'a beaucoup intéressé. Car j'aime aussi avoir du champ, de la place pour jouer…
Ziane : En tout cas, les gens qui écoutent le premier disque même s'ils n'ont pas l'oreille d'un guitariste ou d'un musicien, ils entendent que la guitare a une place vraiment importante. Bien plus que dans le deuxième album qui est plus arrangé, plus produit et où la guitare semble moins primordiale. Pourtant, sur scène, les guitares reprennent le leadership et donnent des versions différentes mais néanmoins intéressantes des chansons.
Jeff : Sûrement. Sur scène, il n y a que ça comme instruments harmoniques et mélodiques, 2 guitares acoustiques et une guitare basse.
A l'époque de ma rencontre avec Souad, je me régalais donc avec Tony Allen ; c'était beaucoup plus expérimental, je jouais sur une guitare électrique de la musique qu'on appelle " Afro-Beat ".
C'est une musique où tu dois tenir une part de rythme et puis te balader dans des arrangements de cuivres, des solos. Avec Souad, je retrouvais vraiment les guitares en bois, le folk, la mélodie, le chant. J'adore jouer avec les chanteurs…
Ziane : Donc, tu ne ferais pas un disque instrumental ?
Jeff : Parfois, j'ai envie parce que j'adore la musique instrumentale aussi. A ce moment là, la guitare prend la place de la voix et c'est magnifique. Quelqu'un comme Jeff Beck quand il fait une mélodie, c'est beau comme un chanteur.
Ziane : Après le premier disque, les concerts ?
Jeff : Oui, beaucoup de concerts. Ca s'est développé. On s'est rendu compte que Souad était à l'aise sur scène, qu'elle adorait vraiment ça, que le public commençait à être présent ce qui nous a motivés.
Ziane : Je suppose que tu étais le premier dans le groupe à rencontrer Souad Massi, comment as-tu rencontré les autres musiciens ?
Jeff : Je connais Zaf depuis les années 80. Nous travaillions ensemble dans un studio de répétition. On se voyait souvent. Nous avons joué ensemble avec Carole Laure. En fait, cela s'est fait tout seul. Zaf est un très bon bassiste. On répétait à Studio Plus. Bob Coke, le réalisateur le connaissait aussi. C'était évident qu'il nous rejoigne.
Ziane : Et le batteur David Fall ?
Jeff : Nous avons travaillé avec plein de batteurs, avec Latabi Diouani , Stéphane Huchard puis avec Chris Henry.
Nous avons essayé plein de batteurs car il n'y a pas beaucoup de batteurs qui peuvent avoir autant de variétés dans le style. Nous avions tous les mêmes itinéraires ; nous avions tous joué avec Salif Keïta, des musiques instrumentales, des musiques africaines, de la variété, etc.
Ziane : Finalement, tu es à l'origine de tous les musiciens autour de Souad Massi ?
Jeff : Un petit peu oui. En étant là depuis longtemps, ayant un peu d'ancienneté, tu vois les gens que tu peux appeler. Tu as déjà une histoire avec eux, cela dépasse les compétences musicales, cela devient plus une relation humaine. Et puis c'est parti et j'espère que ça ne s'arrêtera pas.
Ziane : Parlons de l'évolution de cette aventure. Concrètement, entre le premier et le deuxième album, avez-vous évolué musicalement ? Un style particulier s'est-il affirmé ? Ou allez-vous revenir à plus d'acoustique comme l'a signalé Souad Massi dans une précédente interview ?
Jeff : Je ne sais pas. Avec une artiste comme Souad qui a une grande ouverture musicale, qui aime profondément la musique comme moi aussi j'ai l'impression de l'aimer, nous sommes touchés par une émotion, une énergie qui peut se trouver aussi bien dans la musique traditionnelle " Chaâbi " que chez un " Folk Singer " américain, chez un chanteur africain ou un chanteur indien. Souad adore la musique indienne aussi. On en découvre tous les jours. En réalité, ce n'est pas un style que l'on recherche mais dans chaque chanson il y a une histoire, une émotion à faire partager aux gens. C'est déjà un guide pour l'orchestration. Ensuite, il y a une " Pulse " rythmique qui va nous emmener dans telle ou telle direction.
Ziane : Il est vrai, lorsqu'on écoute les disques ou les concerts, nous passons des chansons acoustiques intimistes à des chansons très rythmées limite " hard rock ". Les mélodies et les rythmes peuvent être orientaux, africains ou rock. Qui apporte cet éclectisme, Souad ou le groupe collectivement ?
Jeff : C'est l'ensemble. C'est aussi son ouverture musicale. Puisqu'elle est capable de se balader dans tous ces styles, on voyage. Le but du jeu est quand même de casser les barrières qu'il y a entre les différentes cultures. Le fait de voyager comme ça de musique en musique tout en gardant l'unité de la voix et de l'instrumentation car ce n'est pas un " patchwork ", cela participe donc d'une recherche de paix et d'harmonie universelles si l'on peut encore en rêver. C'est à dire que pendant 2 heures de concert, nous avons l'impression que tout le monde se retrouve.
Ziane : L'idée qui sous-tend cette démarche est intéressante car elle n'est pas gratuite : rapprocher les cultures grâce à la musique.
Jeff : Lorsqu'il y a des africains dans la salle et qu'on joue Amessa ou Yawlidi, ce sera vraiment un clin d'œil pour eux. Ils vont tout d'un coup se retrouver dans une musique qu'ils connaissent et qu'en plus , on ne massacre pas. Si tu joues un " Makossa " pour jouer un " Makossa " sans savoir le faire, il vaut mieux éviter.
Ziane : Revenons aux arrangements. Avez-vous une liberté d'initiative ?
Jeff : Chacun arrange son instrument à sa guise. Déjà, Souad est autonome avec sa guitare et sa voix. Ca roule. J'arrive avec la deuxième guitare en complément de la sienne. Lorsque sur les disques il y a des violons, des luths, j'essaie de " retraduire " tout ça. Pour la batterie ou la derbouka c'est la même chose, ça évolue sans arrêt. Par exemple, un soir nous faisons un truc qui va bien marcher. Nous le mémorisons ou nous l'oublions pour y revenir après. Chacun pense à son instrument. L'un pourrait améliorer un passage, l'autre un autre endroit. On en parle, on écoute les concerts … C'est un travail en continu.
Ziane : Donc les morceaux évoluent perpétuellement ?
Jeff : Personne dans le groupe n'a envie de dire que sa version est définitive et qu'on ne peut pas faire autrement. Il ne s'agit pas non plus de faire n'importe quoi, de prendre des risques, ce n'est pas du " Free Jazz " où tu ne refais jamais deux fois la même chose. Il y a quand même une chanteuse à accompagner, tu ne peux pas prendre trop de risques non plus. Il y a un espace de liberté mais au service de sa voix. Donc, tu ne peux pas envoyer une grosse dissonance juste avant qu'elle se mette à chanter. Parfois, il ne sert à rien de compliquer l'harmonie, cela ne va pas servir la voix. Ce sont des chansons qu'on essaye d'habiller avec ce qu'elle raconte. Comme les gens ne comprennent pas les textes, que ce soit en France ou en Angleterre où très peu de gens comprennent l'arabe, il faut que ça passe autrement que par les mots. L'orchestration doit illustrer la sensation, l'émotion et le thème de la chanson.
Ziane : Je reviens aux questions techniques et en particulier sur la guitare et l'amplification. Tu joues sur une Takamine électro-acoustique 12 cordes (plutôt 10 cordes). Il n y a pas d'évolution en vue ? As-tu une guitare de remplacement en cas de problème ?
Jeff : J'en ai une en préparation chez le luthier. De la même façon, je vais l'équiper avec un micro de guitare électrique. Je suis toujours en recherche.
Ziane : N'envisages-tu pas parfois d'utiliser en plus une Gibson électrique sur scène ?
Jeff : J'aimerais bien. Le problème est qu'on est très souvent sur la route et qu'on ne peut pas trimballer plusieurs guitares.
Ziane : Peux-tu me parler de ton amplification ? C'est toujours un Marshall à lampes ?
Jeff : Comme on n'a pas de matériel propre, je demande toujours un Marshall JCM 800 ou 900 car par expérience c'est le plus fiable.
Ziane : Quels sont les effets utilisés ?
Jeff : J'ai un octaver, 2 chambres d'écho…
Ziane :Pourquoi 2 chambres d'écho ?
Jeff : Parce que l'une sert à habiller le son de la guitare électrique vu que le son de la guitare acoustique est très droit. Dans le jargon, on dit que je le mouille un peu de sorte que derrière la guitare acoustique il y ait une sorte de halo, comme une nappe. L'écho y fait beaucoup. Et puis moi, je suis le fils de " Pink Floyd ", j'adore la musique psychédélique, j'adore les échos, c'est magique. Donc, j'utilise la première pour des effets un peu " spéciaux " et l'autre que j'utilise de façon très rythmique pour donner l'effet classique de l'écho, c'est à dire qu'il répond à ce que tu joues. Et si tu aères ton jeu, la réponse est comme un rebond, cela donne presque l'impression d'une séquence.
Ziane : Continuons ! Quels sont les autres effets ?
Jeff : J'ai une pédale " Wha Wha " Dunlop Cry Baby…
Ziane : Je l'entends rarement. Bien sûr, il n y a pas de morceau à la " Voodoo Child " où la " Wha Wha " est indispensable. L'utilises-tu comme filtre pour avoir un son particulier ?
Jeff : Si, si. Je l'utilise pour l'effet " Wha Wha " dans " Lamen ". Mais je l'utilise aussi comme filtre. Comme j'ai tout le temps le son " droit " de la guitare acoustique, on l'entend moins. C'est vrai que ce n'est pas " Shaft ".
Ziane : D'autres effets ?
Jeff : J'ai aussi 2 pédales de distorsion. La première est plus un overdrive assez doux qui booste un peu le son clair de la guitare électrique. C'est une pédale Boss. L'autre, une Rat est plus saturée. Enfin, j'ai une pédale de volume.
Ziane : C'est tout ? Comment fais-tu dans l'intro de " Belibik " quand tu fais répéter toutes ces phrases en boucle ?
Jeff : Je me sers d'une chambre d'écho que j'utilise comme un petit magnéto. C'est à dire que j'enregistre une séquence qui se répète et à laquelle je rajoute d'autres séquences.
Ziane : Pourquoi n'utilises-tu pas un " Rack multi-effets " ?
Jeff : Les " Racks multi-effets " sont numériques et je n'aime pas leurs sons. J'ai l'habitude de fonctionner avec des pédales aux pieds. Il y a des pros qui jouent sur des " racks numériques ". C'est une question de recherche de sons et de ce qu'on aime ou on n'aime pas. Moi, je n'aime pas trop.
Ziane : Avec tous ces voyages en France et à l'étranger en raison de la tournée interminable, quels sont les endroits qui t'ont le plus marqué ?
Jeff : Le Soudan lorsque l'on a joué à Khartoum. On a fait un concert avec trois bouts de ficelle et c'était un grand moment.
Ziane :Vous avez réussi à sonoriser ?
Souad : Il y avait des pressions énormes. Les autorités voulaient annuler le concert. Nous , on tenait à jouer.
Jeff : Et puis tu joues, tu vois les étudiants qui ont envie de danser, tu vois les autorités qui allument les lumières pour les surveiller, et puis nous qui les provoquons et finalement, ça s'est très bien passé. C'était un moment très touchant. Sinon, ça dépend des gens. Je me souviens d'un concert à Lyon dans la mairie du 1er arrondissement où nous avions commencé devant juste des élus un peu coincés et ça s'était terminé en pleine communauté. C'était génial ! On avait réussi à retourner toute l' ambiance de la salle. Il y a des moments comme ça. Maintenant, tous les voyages sont très enrichissants. Quand tu voyages avec la musique, tu es tout de suite plongé dans une ambiance sympathique. Ce n'est pas comme quand tu arrives en touriste. Tu es tout de suite accueilli par les gens du pays. Tu as une relation privilégiée avec les personnes qui t'accueillent. Tu peux tout de suite poser plein de questions. Tu es aidé dans ta découverte du pays. Quand tu es dans un pays étranger et que tu travailles, tu es dans l'ambiance du pays, quoi .Tu es comme tout le monde. Tu n'es pas en train de te balader en touriste pendant que tout le monde bosse. Tu es dans le même mouvement qu'eux.
On rencontre les corps de métiers autour du concert et après le concert, on peut rencontrer le public. Par exemple, tu viens d'arriver à New York, tu joues et après tu es reçu par des gens qui viennent te chercher le lendemain pour te faire visiter. Tu es drôlement avantagé.
Ziane : Cependant, ne ressentez-vous pas une frustration ? En France par exemple, vous avez pratiquement vu toutes les villes depuis 3 ou 4 ans, as-tu pour autant l'impression de connaître la France ? En arrivant l'après-midi dans une ville et en repartant le lendemain en fin de matinée, n'avez-vous pas une vision un peu partielle et faussée de ces endroits ?
Jeff : Oui, j'ai l'impression de connaître la France mais en même temps, je suis toujours aussi nul en géographie. Il y a pourtant des différences d'ambiance suivant les régions. Ca se sent dans le public aussi.
Ziane : Ressentez-vous des différences dans les publics ? Les gens du Sud sont-ils, d'après le cliché, plus chaleureux ?
Jeff : Au contraire, le public du Sud est comme le public parisien, il a beaucoup de choix, il est un peu blasé sans généraliser bien sûr. En règle générale, les publics très chaleureux se trouvent dans le Nord, autour de Lyon aussi … Il y a une grande écoute. Dans chaque région, il y a une ambiance différente. Tu joues en Bretagne, tu t'aperçois que dans la salle il y a plein de gens qui savent faire la fête autour de la musique.
Quand tu vas dans des endroits plus " bourgeois ", l'ambiance est un peu plus coincée.
Je pense que je commence à connaître mon pays. Il a ses bons et ses mauvais côtés. Quand tu passes 4 fois dans la même ville, tu commences à la connaître un peu.
Ziane : Finalement, vous êtes en quelque sorte les " Troubadours des Temps Modernes ". Vous débarquez dans un endroit pour apporter un peu de divertissement, de bonheur, d'amusement. Le lendemain, vous êtes déjà repartis vers d'autres lieux laissant derrière vous un agréable souvenir.
A part le Soudan, quels pays t'ont-ils le plus marqué ?
Jeff : Nous avons eu des grands moments en Angleterre. J'ai toujours considéré que si on avait du succès à Londres, c'était un sacré atout. Les concerts à Londres étaient souvent riches en émotion car le public a une vraie exigence. Les concerts en Australie étaient superbes. Pour l'instant, on s'éclate partout.
Le public espagnol n'est pas acquis d'avance. Autant, dans le monde musical anglo-saxon on peut paraître novateurs, autant dans le monde musical espagnol, ils ont tellement fait de fusion autour des différentes musiques qu'ils donnent l'impression d'être moins étonnés par ce qu'on propose. Par contre, ils sont sensibles à la qualité, à l'interprétation et à la richesse musicale.
C'est un public qu'on s'est mis dans la poche quand même. Il y a une grande musique chez eux et ce n'est pas facile de faire son trou là-bas. Tu joueras tout le temps parce qu'il y a plein de musiciens. C'est un public exigeant. Il faut donner de la vérité dans l'expression. Si tu fais un peu semblant, ce public ne se fera pas avoir. Il est assez mélomane.
Ziane : Et l'Allemagne, vous n'y avez jamais joué ?
Jeff : Non, mais nous y allons. Cela va être sûrement un bel accueil.
Ziane : Et l'Italie ?
Jeff : C'était vraiment bien. Il y a une grande richesse mélodique dans la musique italienne. Ils aiment bien les voix. Ils découvrent la voix de Souad Massi. J'ai déjà joué là-bas avec Salif Keïta, avec Touré Kunda. Nous, en France, nous avons une grande richesse culturelle de par les mélanges, de par la suite de la colonisation. J'ai vu des musiciens africains découvrir des musiques d'Afrique à Paris. J' ai connu un sud-africain qui a découvert la musique " Mandingue " à Paris alors qu'il ne la connaissait pas du tout à Johannesburg ou au Cap. La France est le terreau d'une grande richesse musicale. Il y a des vedettes qui viennent d'Afrique, du Maghreb. C'est courant en France.
En Espagne, il y a des marocains aussi, mais le mélange arabo-andalou existe depuis longtemps. En France, le phénomène est plus récent.

Fin de l'entretien qui a duré environ 50 minutes.

Ziane techniquement assisté par Danielle.

© Souad Massi 2009